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« Une grande blonde s’il vous plait ! »

Rencontre

Publié le 28/04/2018

Si vous êtes un habitué des 4Ecluses, il y a des chances que vous ayez déjà goûté avec modération aux bières de la Brasserie Thiriez d’Esquelbecq. Rencontre avec Daniel, artisan précurseur du houblon…

Racontez-nous le commencement de votre brasserie.

J’ai créé cette brasserie en novembre 1996, il y a 21 ans presque jour pour jour. J’ai fais des études très différentes et ai travaillé durant 11 ans dans la grande distribution où je m’occupais des ressources humaines et gestion du personnel. L’idée de la brasserie était un projet très personnel. Cela est venu d’une envie d’indépendance pour organiser ma vie et mon travail comme je l’entendais et de ne plus dépendre d’une grosse structure. Je voulais aussi vivre et travailler sur le même lieu à la campagne. La bière était dans un coin de ma tête. Je suis né à Lille où j’ai baigné dans la braderie de Lille. J’ai surtout eu l’intuition, sentant un besoin de bières artisanales qui n’existait quasiment plus. J’ai regardé ce qu’il existait chez nos voisins belges et anglais ainsi que de l’autre côté de l’Atlantique puisque mon épouse est canadienne. Dans les années 90, la révolution des brasseries artisanales commençait. Mon idée était de dire que tout ce qui marche ailleurs arrive chez nous en France avec en moyenne 10 ans de retard et que cela allait marcher de faire localement en petite quantité des bières de qualité. Tout le monde m’a pris pour un fou ! Personne ne comprenait d’avoir quitté un bon job. Mais 21 ans après c’est le contraire, on pense que finalement j’ai été un pionnier. J’ai juste fait ce que j’avais envie de faire, et depuis le début je brasse la bière que j’ai envie de boire. La brasserie a un peu grandi en 20 ans mais elle n’a pas changé de nature et reste fidèle aux principes de départ.

La brasserie, en quelques chiffres, c'est... ?

Au début j’imaginais travailler seul mais au bout d’un mois, j’ai décidé d’embaucher quelqu’un que j’ai formé pour le brassage qui est toujours là, puis une autre personne pour les livraisons et répondre aux nombreuses demandes. Nous sommes restés à 3 durant 15 ans. Maintenant, j’ai une autre personne en production ainsi que ma fille Clara depuis 3 ans dans l’idée qu’elle reprenne le flambeau par la suite.

Les bâtiments ont aussi évolués. J’ai commencé dans une ancienne brasserie où il y avait tout (la brasserie, le stock et la salle de dégustation). Un des concepts était d’être ouvert au public en faisant des visites et avec le magasin sur place. Des nouveaux bâtiments en bois ont vu le jour progressivement pour avoir un outil de production un peu plus important et mieux s’organiser. Approximativement nous avons démarré à 500 hectolitres par an, nous sommes restés longtemps à 1000 hL lorsque l’on était 3 personnes et maintenant nous en sommes à 2400 hL. Ma politique en ce moment est de freiner la production malgré la très forte demande avec un emballement positif pour les bières artisanales. Je ne veux pas grandir trop vite pour maîtriser ma croissance et garder le caractère de la brasserie à taille humaine. La croissance à tout prix ne m’intéresse pas car il y a beaucoup de revers à cela. Je veux rester indépendant. Je ne veux pas de financiers, d’investisseurs. Je veux garder la qualité de mon produit et son contrôle. Je ne serai pas plus heureux à faire deux fois plus de production. La satisfaction du travail n’est pas liée à la quantité. Je ne cherche pas à vendre mes produits dans la grande distribution. Nous privilégions le direct et les commerces traditionnels. Nous exportons aussi des petits volumes, principalement aux Etats-Unis mais aussi en Belgique, Pays-Bas, Royaume-Uni, Danemark, Suède, Espagne, Italie… J’aime bien l’idée de travailler en local mais aussi en international ce qui me permet d’échanger avec des collègues étrangers concernant les savoir-faire.

Quelles bières différentes brassez-vous ?

Il y a 10 bières permanentes dont 2 qui sont biologiques (la Thiriez bio et la Triple). Nous avons un peu de difficulté à assurer la production permanente de ces 10 bières et avons souvent des ruptures. En plus de celles-ci, nous faisons aussi des bières spéciales (bière d’été, d’hiver, celle au poivre). J’accompagne aussi quelques projets en brassant parfois pour de jeunes brasseurs qui se lancent afin de valider leurs recettes à taille réelle. Chacune des ces 10 bières a ses originalités, son public.

Qu'est ce qui caractérise vos bières ?

L’élément commun de toutes mes bières est une levure fraiche unique sélectionnée il y a plus de 20 ans dont l’usage m’est exclusif. Cette levure donne une touche à chacune de mes bières. Comparativement aux bières du Nord par exemple, les miennes ont plus de houblon. Elles sont plus sèches, plus amères et moins sucrées. Maintenant il existe des bières beaucoup plus extrêmes que les miennes avec les nouvelles brasseries qui explosent.

Vos goûts ont-ils évolués depuis le début de votre activité ?

J’ai toujours aimé les bières type « Saison », plutôt sèches, traditionnelles, rustiques et houblonnées mais depuis peu j’apprécie plus particulièrement les bières modérément alcoolisées. Je ne supporte plus les bières fortes. Fondamentalement mes goûts n’ont pas changés depuis que je brasse mais j’aime beaucoup de choses et je goûte beaucoup d’autres bières de collègues et brasseurs amateurs, je reste curieux. Chez le public, les goûts évoluent grâce au développement de la culture de la bière. Il existe un vrai public de passionné qui veut apprendre.

On voit de plus en plus de bières apparaître sur le marché dont un certain engouement pour les IPA. Chez vous il s'agit de la Dalva. Que pensez-vous de cette nouvelle expansion ?

Ce n’est pas le style que je préfère mais il y en a de très bonnes. C’est un style qui est directement venu des Etats-Unis avec 10 ans de retard pour la France. L’inconvénient des IPA est qu’elles sont faites avec des houblons de provenance américaine qui sont extrêmement chers et qui pour certains présentent des problèmes d’approvisionnement. Mais quand elles sont bien faites ce sont d’excellentes bières qui apportent de nouveaux goûts ! Nous faisons effectivement la Dalva à partir de ces houblons mais je privilégie les houblons locaux cultivés dans les Monts de Flandres à hauteur de 50% de mes besoins.

Qu'est ce qui est le plus complexe dans l'élaboration d'une nouvelle recette ?

L’innovation demande du temps, autant pour la réflexion que pour l’élaboration d’une nouvelle recette. Prenons l’exemple de notre bière au poivre… Le plus délicat est le dosage afin de sentir l’ingrédient mais qu’il ne soit pas non plus en excès. Ce n’est pas comme la cuisine, nous ne pouvons pas goûter immédiatement en brasserie. Il faut donc faire beaucoup d’essais.

Mais personnellement, j’y vais beaucoup au feeling contrairement à certains brasseurs qui sont beaucoup plus ingénieurs que moi. Il peut arriver d’ajuster une recette au fil du temps même sur une recette traditionnelle, tout en gardant son caractère, évidemment. Rappelons aussi qu’en travaillant avec des matières agricoles, il y a des variations de récoltes selon les années. Les houblons sont très liés au climat. Cela nous amène parfois à ajuster nos recettes.

Quelle est la recette la plus improbable que vous ayez créée ?

Celle au poivre est assez originale mais je crois que la plus improbable est l’Etoile du Nord qui est en fait une bière très simple, une blonde à 5,5° mais très houblonnée. Lorsque je l’ai créée en 1999, elle a été perçue comme un OVNI au vue de sa quantité de houblon, sa puissance aromatique et son amertume. Elle m’a créée beaucoup de réputation notamment à l’étranger mais ici les gens n’en voulaient pas ! A l’origine, je l’ai créée avec un brasseur anglais qui avait une petite brasserie dans le Kent où nous avons utilisé une variété peu commune de houblon anglais. Cette recette reste inchangée depuis sa création.

Comment votre métier a t-il évolué depuis ces dernières années ? Les modes de bières ont-elles une influence sur votre production ?

Mon métier n’a pas tellement évolué sauf que mes cuves sont un peu plus grandes, nous sommes plus nombreux. Mais côté environnement, j’ai beaucoup plus de collègues nouveaux brasseurs qui viennent d’origines différentes, certains étaient plombiers d’autres graphistes, ingénieurs… Il n’y a malheureusement pas beaucoup de femmes brasseuses. Les états d’esprit et les relations ont été complètement modifiés. Les histoires des secrets bien gardés et de la concurrence ont complètement volés en éclats. Aujourd’hui on se trouve dans l’esprit open-source, plus ouvert et coopératif. Donc tout cela a évolué vraiment dans le bon sens. Ceci dit tout n’est pas parfait puisque avec le succès grandissant des bières artisanales nous voyons arriver de tout, y compris des gens opportunistes qui n’ont pas de passion particulière, ainsi que des investisseurs avec un but lucratif, mais c’est la vie et nous verrons dans 5 ans où cela nous mène. Ce métier reste un métier de passion qui nécessite des compétences et demande beaucoup de rigueur. Mais globalement, c’est un milieu professionnel qui est vraiment agréable et intéressant, beaucoup plus qu’il ne l’était dans le passé.

Que pensez-vous des nombreuses micro-brasseries ?

Je n’aime pas ce terme parce qu’un boulanger dans un village n’est pas un « micro-boulanger » et pourtant il existe des boulangeries industrielles donc moi c’est pareil : je suis artisan brasseur, petit certes mais « micro » voudrait dire que l’on se définit par rapport au géant industriel.

Aujourd’hui nous avons créé un syndicat professionnel des brasseurs indépendants, le SNBI, où nous revendiquons l’indépendance plutôt que la taille. J’y suis l’un des vice-président et j’essaye d’informer les brasseries, les accompagner, les aider pour essayer de faire monter le niveau professionnel en travaillant sur de la formation et faire savoir que l’on existe. Il faut dire qu’une petite brasserie fait vivre les personnes qui y travaillent mais aussi d’autres métiers comme dans le bâtiment, des électriciens, des transporteurs mais aussi des graphistes… Tout cela forcément en local. Il y a des petites brasseries qui ont vraiment réveillé un village. Certains font aussi quelques concerts, sont des lieux de réunion pour des associations et créent des réseaux locaux. La bière, c’est presque un prétexte puisque nous essayons d’avoir une démarche cohérente dans tous les aspects. Cela vaut également pour la préservation de l’environnement par le recyclage, les consommations d’énergie, les matériaux d’isolation de nos locaux…

Comment parvenez-vous à répondre aux nombreuses commandes ?

Nous devons refuser certaines grosses commandes pour se concentrer sur nos clients actuels avec qui nous travaillons. J’ai été contacté par exemple par une grosse chaîne de magasins mais nous ne sommes pas capables de suivre et je n’ai pas envie qu’une trop grosse part de ma production parte éventuellement chez eux au détriment des autres.

Avec Les 4Ecluses cela fait environ 10 ans que nous travaillons ensemble. Nous apprécions la démarche de vouloir travailler en direct et en local. Nous sommes également fidèles à nos fournisseurs donc on apprécie aussi la même chose de l’autre côté.

Une enquête a prouvé que la bière a meilleur goût avec de la musique... Est ce que la musique vous influence ?

Nous n’écoutons pas beaucoup de musique malheureusement ici dans l’atelier parce que l’on utilise aussi beaucoup l’oreille pour brasser. A titre privé, j’en écoute beaucoup mais nous pourrions imaginer une bière inspirée d’un groupe ou d’un morceau.

Quel est le meilleur accord pour vous bière / musique ?

La Petite Princesse pour moi c’est de la country texane. La Rouge Flamande, servie dans les estaminets se rapproche plus de musiques traditionnelles. L’Etoile du Nord est très britannique, elle serait de la pop anglaise.

Depuis plusieurs années, certains groupes lancent leur bière signature, qu'est ce que vous en pensez ? Seriez-vous prêt à travailler avec des musiciens ?

Nous avons déjà fait des bières en série limitée pour des événements musicaux.

Avez-vous assisté à un concert récemment ? Si oui, qui avez-vous vu ?

La dernière fois que je suis venu aux 4Ecluses remonte à l’inauguration des studios de répétition. Mais le dernier concert où je suis allé, était Damien Saez à Lille, que j’écoute en boucle dans ma voiture. Je suis aussi allé voir Neil Young mais j’ai été déçu, je préfère écouter ses vinyles. Sinon nous allons régulièrement aux concerts de Arno.

La Blonde d'Esquelbecq est servie depuis de nombreuses années aux 4Ecluses. La Triple vient de nous rejoindre également. Sans compter la Dalva que nous avons en bouteille. Est-ce important pour vous d'avoir une visibilité dans ce type de lieu ?

Pour moi, c’est vraiment important parce que j’aime bien avoir ma bière dans des lieux qui me plaisent et dans des endroits proposant des activités artistiques. D’autant plus lorsque les gens connaissent le produit et la brasserie et savent en parler. C’est ce qui en donne toute sa valeur.

Dans le dunkerquois, vous êtes quasiment les seuls à proposer ma bière. Et l’avoir dans les supermarchés, ça ne m’intéresse pas.

Un message pour notre public ?

Plutôt une invitation… Venez nous voir ! Si vous souhaitez vous programmer une petite après midi entre amis ou en famille dans les Flandres, il y a des choses intéressantes à faire et nous ne sommes pas loin ! Nous proposons des visites commentées tous les samedis, passez nous un coup de fil avant.

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