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Point de situation

Février 2021

Publié le 10/02/2021

Contraints à la fermeture de notre salle de spectacle, voilà bientôt un an que nous « chevauchons le tigre », à l'invitation du Président de la République. Une situation qui flatte notre goût de l’aventure et notre conviction que la Culture ne peut être routinière. Cependant, il apparaît que depuis cette date, le gouvernement maintient le dit tigre sous sédation profonde, convaincu que sa fermeté à notre égard dissimulera ses errances décisionnelles.

Notre coeur de métier, l'organisation de concerts en configuration debout, est particulièrement impacté. Supprimée la première, dès février 2020, cette activité est aussi la dernière promise à une reprise, et encore : le sujet n’a jamais été sur la table, même lorsque théâtres, musées et cinémas ont pu rouvrir en septembre 2020. Nous travaillons ainsi via nos organisations professionnelles avec le Ministère de la Culture, avec lequel nous discutons et élaborons des protocoles qui ne sont jamais validés ou se retrouvent contredits par les décrets qui paraissent ensuite. Pourtant, aucune donnée scientifique n’étaye l’idée qu’un concert debout avec protocole soit plus risqué qu’une autre activité, ni ne prend en compte l’impact social de l’absence de culture.

Quelles incidences sur notre structure ?

La plus grande difficulté à laquelle nous sommes confrontés est l'absence de décision ferme, absence qui obscurcit tout horizon. Conséquence : nous passons notre temps à réfléchir et organiser le maintien/l'annulation/le report des événements, tout en n'ayant aucune idée des règles sanitaires qui s'appliqueront le moment venu. Impossible, dès lors, de fixer une jauge, de lancer une communication, d'ouvrir une billetterie, de lancer une préparation technique, de démarcher des partenaires, sans avoir à penser la manipulation inverse... Le poids de la responsabilité de telles décisions s’ajoutant à notre désarroi. Nous sommes déjà au quatrième cycle d'annulations (notre programmation s'élaborant au trimestre), et autant d'investissements considérables en temps, en argent et en énergie, d'autant qu'en parallèle, il nous faut prévoir à l'aveugle des plans B, puis des plans C, dans l'espoir de maintenir une activité, avec ou sans public.

Horrifiés par le vide et convaincus de l’importance de notre rôle, nous compensons ainsi chaque annulation par d’autres propositions visant à soutenir les personnels du secteur (artistes, techniciens, prestataires…), à entretenir la vitalité de la création, notamment des accueils en résidence, et à maintenir un lien avec les publics (propositions dématérialisées, évènements en petite jauge en extérieur quand la météo le permet...). La charge de travail est donc au moins démultipliée par quatre, alors même que les projets que nous pouvons au final concrétiser représentent la moitié de la charge initiale. En résulte une formule aberrante : 1x4 = 0,5. Épuisement, lassitude, sentiment d'inutilité, impression de mépris de nos métiers… Les maux commencent à peser lourd sur notre équipe, qui perd peu à peu la rage de faire front face cette situation ubuesque.

Ce bilan dressé, parlons de la reprise d’activité. Elle ne pointe pas encore le bout de son nez, mais en tentant de s’y projeter, voici ce que l'on peut en dire :

– d’abord, il faudra distinguer ré-ouverture et reprise d’activité. Il se passera sans doute des semaines voire des mois ou des années entre les deux, le temps que les machines et les corps se remettent en route, le temps d'émerger de cette longue hibernation avec l’énergie et la motivation qui caractérisait ce secteur ;

– du côté des artistes, il faudra renouer avec un rythme de travail oublié, remettre le travail sur l'ouvrage pour proposer du neuf (à une époque où l'actualité se fait et se défait dans l'instant, personne ne voudra entendre parler de ce qui était intéressant un an auparavant) et de tenter de reprendre une place perdue. Sans parler des musiciens étrangers (1/3 de notre programmation), dont on ne sait pas quand ni comment ils reviendront (une contrainte de plus à l’échelle de notre territoire, car si Les 4Ecluses peut se permettre de programmer des artistes internationaux, c’est parce que Dunkerque est au confluent de la France, de l’Angleterre et de la Belgique, donc sur la route de toutes les tournées européennes. Le Brexit risque en outre de complètement bouleverser cette donne) ;

– en ce qui concerne les publics, il va falloir leur redonner l'envie d'avoir envie, si l'on peut dire. Remettre le concert live sur une table envahie entre temps par les propositions numériques et le confort apparent de leur consommation à domicile. Remettre le monde du vivant sans écran au coeur d’un écosystème qui se sera passé de lui pendant de trop longs mois ;

– du point de vue des structures culturelles, il conviendra de raisonner la reprise. L’envie de revenir vite et fort après tant de frustration risque de provoquer un embouteillage, une surabondance de propositions simultanées dans lesquelles les publics captifs risquent de se noyer. La coordination sera plus que jamais de mise pour éviter que cette reprise constitue le pinacle d’un éloignement entre nos propositions et les populations ;

– enfin, un mot sur les publics dits éloignés de la Culture, publics envers lesquels tous nos projets ont été stoppés, repoussés, diminués... Il y a là une matière perdue à jamais, un fossé plus grand à combler qu'auparavant. Il nous sera impossible de rattraper ce retard, de retrouver des personnes dont le chemin de vie a entre-temps bifurqué, quand bien même le cataclysme social provoqué par cette crise rend ce type d’actions encore plus indispensable dans les années à venir.

Aurélien Delbecq, directeur des 4Ecluses.

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