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Lève toi et écris ta bio

Tuto

Par Geoffrey Sebille Publié le 04/05/2018

Puisque l’on sait désormais que les dix commandements de la Bible étaient bidons, en voici dix autres que tu goberas tels des osties afin d’écrire ta bio en paix. Amen.

1. Tu n’écriras pas. Du moins, pas tout de suite. Recapuche ton stylo et pose-toi les bonnes questions : quelle impression veux-tu faire ? Comment souhaites-tu et comment refuses-tu d’être perçu ? Sur quoi reposent la singularité et l’identité de ta musique ? Si tu te la joues solo, allonge-toi sur le divan et fais-toi aider par une tierce personne de confiance. Si tu te la joues collectif, remplace la prochaine répétition par une thérapie de groupe. Remember : bien écrire, c’est d’abord bien penser.

2. Tu ne culpabiliseras point. C’est un fait : les musiciens parlent aussi bien de leur art que les footballeurs du match qu’ils viennent de disputer. Écrire n’est pas donné à tous, écrire sur la musique est un non-sens et écrire sur soi relève de la torture. La bio étant ni plus ni moins la combinaison de ces trois exercices, rien d’étonnant à ce qu’elle s’avère si redoutable. Alors, on arrête de se fouetter et on aborde le chantier avec détente, sourire et, pourquoi pas, une bonne bouteille de vin, rouge de préférence. Ça peut aider à traverser la tempête d’idées.

3. Tu te vendras. En d’autres termes, tu feras la part des choses entre tes chansons et ta bio. De la même manière que l’église et l’État furent séparés en 1905, à toi de tracer une frontière américano-mexicaine entre l’artistique et la communication. La bio n’est ni un dictionnaire, ni une interview, ni une conférence musicologique. Sa finalité, quelle que soit la paire de mains dans laquelle elle va tomber, est de fédérer une ola de curiosité autour de toi. Donc de te vendre. CQFD.

4. Plus jamais, tu ne décriras. La majorité des bios tournent en rond sur l’orbite de la banalité car les groupes sont persuadés qu’il faut décrire ou expliquer la musique. Protège-toi de la « descriptite », cette maladie rédactionnelle dont les symptômes consistent à égrener les batteries « puissantes », les guitares « lancinantes » et le groove « implacable ». Creuse-toi plutôt les méninges pour nous dire que ton disque, comme l’a écrit un journaliste de Noise à propos de celui de Jessica93, « renferme, à n’en pas douter, les meilleures histoires sur fond de punaises de lit ». Voilà le genre de formule qui met tout le monde d’accord et enterre les épithètes superfétatoires.

5. Tu liras. Les bios des autres, les magazines musicaux, les programmes des festivals, les brochures des salles de concerts, tout ce qui, de près ou de loin, se risque à « présenter » un artiste sera désormais ton pain quotidien. Tu constateras (et évinceras) par toi-même le scandaleux recyclage des tournures galvaudées. Tu constitueras tes propres black-list et white-list. Quitte à ce que les bios se pompent, autant les faire rentrer dans un cercle stylistique vertueux.

6. Tu éviteras les familiarités. Te programmer dans une salle subventionnée ou parler de toi dans un journal n’est pas un dû sous l’unique prétexte que tu sais accorder une guitare. Démystifie immédiatement le fantasme de la « grande famille de la musique », ta bio devra être pro sans se prendre au sérieux, fun mais pas potache, efficace mais exempte de prétention. Pour arriver à ce joyeux équilibre rédactionnel, il faudra t’armer de patience. Rome wasn’t built in a day. Et ta bio encore moins.

7. Tu ne mélangeras point. À l’instar des liaisons dangereuses entre vodka, bière et punch, méfie-toi de l’« electro pop », de la « chanson world » et autres « combo jazz funk slam ». Réfléchis de manière zodiacale. Quel est ton signe musical ? Quel est ton ascendant ? Mieux vaut cibler un style et lui coller un adjectif gentiment décalé (« pop de sang-froid », « post-rock des grands espaces », « rock brumeux ») que de ressortir les étiquettes commerciales type RTL2 ou FNAC. Qu’il s’agisse du style ou des influences, ta bio doit simplement et honnêtement nous indiquer sur quelle autoroute musicale tu roules et entre quels groupes on doit te ranger.

8. Tu seras envoyé spécial. Tu as toujours rêvé de faire une école de journalisme ? Range ton chéquier, la voici en trois mots : attaque de papier, messages essentiels, chute de papier. Reprenons. L’attaque de papier, c’est la première phrase de ta bio. Elle doit être insolite, aguicher et donner envie de lire la suite. Les messages essentiels sont les informations capitales que tu souhaites transmettre. La chute de papier est la dernière phrase de ta bio, celle qui va achever la séduction et nous convaincre d’aller te voir en vrai ou sur internet.

9. Tu prendras des risques. Pas de code pénal, civil et encore moins de la route à respecter dans l’écriture d’une bio. À part les voies impénétrables de l’ennui et de l’arrogance, tous les coups sont permis. N’oublie toutefois jamais que ce qui est écrit dans ta bio est susceptible d’être copié-collé partout (et donc n’importe où) et qu’il sera difficile d’exiger des droits de réponse.

10. Tu ne sous-estimeras pas ta bio. Si tu penses encore que « seule la musique compte », alors reste dans ton garage avec tes boîtes à œufs. Mais si tu te mets en tête de réseauter, sache que ta bio peut faire la différence et peser dans la balance. Elle servira aux journalistes et aux chargés de communication pour annoncer ton concert. Elle remplira la rubrique « à propos » de ton Facebook et de ton Bandcamp. Elle t’aidera à te distinguer du lot des groupes qui candidatent aux mêmes tremplins que toi. Elle te sera précieuse au moment de dégainer un pitch quand tu rencontreras un pro. Et si tu te débrouilles vraiment bien, elle te fera même revenir l’être aimé.

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