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Anastasie* for ever

Histoire

Par Mat Sanouar – Centre de la Mémoire Publié le 11/01/2018

Petite histoire de la censure et du contrôle de l’information à partir de la Révolution...

À tous les emos, technos, rastas, punks à crête, noirs blousons et autres grungies et gothiques de la Communauté urbaine de Dunkerque, je tiens à rendre en cette année européenne du patrimoine culturel l’hommage que mérite leur défiance au service de notre intelligence collective.

Pour ce faire, un playback de la sweet Anastasie dont les grands ciseaux assurent le silence de l’Etat dans les espaces trop sonores des époques troublées… jusqu’aux bistrots de Dunkerque !

Les Sympathies with the Ana sont immémoriales. Je m’arrête ici sur celle de 1853, juste après que le président Louis-Napoléon Bonaparte s’est senti pousser une couronne de Napoléon n°3 pour transformer la République en Second Empire. Les coups d’Etat, on le sait, rendent les préfectures fébriles et leur prose chantante.

Ainsi notre sous-préfet eut-il « l’honneur » d’adresser au maire de Dunkerque l’état des romances et chansonnettes dont le Ministre de l’intérieur interdisait l’exécution dans les « théâtres, cafés-concerts et autres lieux d’amusement public ». Son « active surveillance » était sollicitée, « aucune romance ou chansonnette ne pouvant être chantée dans un lieu public » sans avoir été « visée soit au ministère, soit à la sous-préfecture ». Les programmes devaient aussi être déposés en double exemplaire et approuvés par le sous-préfet ou le maire avant l’affichage ou l’annonce du concert !

Dès lors, les Dunkerquois durent se contenir, comme le dit le document : nul ne pouvait entonner Le Capet défoncé, faire vibrer le Minck sur l’air des Dames du cabaret, battre la mesure du Cric-crac ou même sampler la Veuve de l’ouvrier. C’était pour le bien social, tout comme l’interdiction de certaines pièces à rôle d’enfant telles que Mamzelle fait ses dents, dont nous n’avons hélas pas conservé les didascalies.

Vue de notre triomphal XXIème siècle, cette histoire inspire finalement confiance : toujours l’autorité s’effarouche, mais comme Starsky et Hutch, la société gagne toujours à la fin. Je t’aime… moi non plus est ainsi passé de l’interdiction de diffusion au patrimoine mondial.

Et rien n’est finalement plus promoteur qu’une censure, surtout quand les réseaux sociaux s’en mêlent ; tous les rappeurs vous le diront. Alors, pour notre plaisir à tous, l’autorité doit composer avec la tribu des créateurs qui ne font jamais rien comme il faut.

Mais je suis quand même un peu triste que Monsieur le Maire ne doive plus lire ma playlist avant mes raves… So sad !

* Anastasie est synonyme de censure notamment dans la presse et dans l'édition en général. Les expressions « ciseaux d'Anastasie » ou « Dame Anastasie » apparaissent dans la seconde moitié du XIXème siècle.

 

Légende du document

Archives de Dunkerque – CMUA – extrait du dossier 1 J 53 Police des spectacles 1790-1891

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